Connexions Instinctives
Narrateur :
Devant la grande boîte aux lettres rouge, Julia hésitait. Dans ses mains, une pile de CV impeccablement alignés. Un effort colossal pour une étape qu’elle redoutait presque autant qu’elle espérait. Avec une lenteur calculée, elle déposa les enveloppes une à une dans la fente, écoutant le bruit sourd des papiers tombant dans l’immensité métallique. Chaque “clac” résonnait comme un écho à son propre doute. Elle ne savait plus si elle espérait une réponse ou juste une preuve qu’elle existait encore.
Une fois le dernier CV posté, elle resta là un instant, figée dans l’air frais, puis rentra chez elle.
Assise sur le canapé, les jambes recouvertes d’une couverture en laine, Julia fixait le vide. Son appartement, bien que chaleureux, lui paraissait étroit. Trop silencieux. Trop… vide. Le mug de cappuccino tiède entre ses mains ne faisait plus office de réconfort. Son esprit tournait en boucle : “Et si ce travail, cette quête, n’était pas la seule chose à reconstruire ?”
Le besoin d’explorer, de combler ce vide, devenait de plus en plus pressant. Pas une aventure professionnelle, mais une aventure humaine. Quelque chose qu’elle n’avait plus osé envisager depuis longtemps.
Elle attrapa son téléphone posé sur le coin de la table basse et le serra entre ses mains comme si l’objet pouvait lui donner la réponse. Puis, presque par impulsion, elle téléchargea une application de rencontres. Le nom de l’application s’afficha : “Connexions Instinctives”. Une ironie parfaite, pensa-t-elle, elle qui se sentait tout sauf instinctive ces derniers temps.
Créer un profil… par où commencer ? Julia hésita, puis opta pour un pseudonyme simple, sans grande réflexion. Rien qui dévoile trop. À peine le temps de finaliser son inscription que des messages affluaient déjà. Une avalanche de notifications, de prénoms inconnus, et de phrases génériques.
Le stress monta en elle. Ses mains devinrent moites, et son souffle se fit plus court. Elle se sentait exposée, vulnérable, presque démasquée, alors que son profil ne disait rien d’elle. C’était absurde. Mais quelque chose la poussa à ouvrir un message. Juste un.
Il venait de Jacques. Pas un message formaté comme les autres. Il semblait curieux, intrigué, sincère. Mais… intrigué par quoi ? Son profil était vide. Cette pensée la troubla plus qu’elle n’aurait dû.
Tandis qu’elle répondait, chaque lettre tapée faisait battre son cœur plus fort. Elle se sentait tiraillée entre l’excitation et une étrange culpabilité. Une partie d’elle avait l’impression de trahir quelque chose. Quelqu’un. Cette ancienne histoire toxique qu’elle avait pourtant décidé de laisser derrière elle.
Mais ce soir, c’était une première étape. Petite, hésitante, mais une étape vers quelque chose d’autre. Julia tapait encore, les mains moites et le cœur en tumulte.
Julia :
Je me tenais devant cette boîte aux lettres rouge, les CV serrés contre ma poitrine. Pourquoi avais-je l’impression de porter un fardeau ? Ces enveloppes, impeccablement alignées, représentaient tout ce que je voulais oublier : cette lutte constante pour me prouver à des inconnus. Pourtant, il fallait que je les poste. Chaque “clac” résonnait dans le métal avec une froideur qui m’ébranlait. C’était comme si je m’entendais tomber, morceau par morceau, dans cette immensité vide.
Quand la dernière enveloppe glissa, je me suis figée. J’avais envie de m’échapper, de disparaître, mais mes pieds semblaient enracinés. J’ai fermé les yeux un instant. Et si personne ne répondait ? Et si, au contraire, quelqu’un répondait, mais pour m’enfermer à nouveau dans une autre cage dorée ? Je ne savais plus ce que je redoutais le plus.
Je suis rentrée chez moi, l’esprit engourdi. Le silence de mon appartement m’a immédiatement pesé. Ce silence, je m’y étais habituée. Trop bien, peut-être. Je me suis laissée tomber sur le canapé, tirant la vieille couverture sur mes jambes. Une tentative d’apaisement, mais elle n’a rien changé. Je tenais mon cappuccino entre les mains, le mug japonais que j’adore d’habitude, mais même ce geste si familier me paraissait creux.
Je fixais le vide. Une spirale de pensées envahissait mon esprit. Et si ce n’était pas le travail que je devais reconstruire ? Et si c’était moi ? Une part de moi se rebellait contre cette idée. Je n’étais pas prête à tout affronter. Pas maintenant.
Mais ce vide… il était là, immense, oppressant. Il avait pris la forme de mon quotidien. Des journées remplies de tâches et d’objectifs qui n’avaient plus de sens. Ce n’était pas le genre de vide qu’un contrat ou un CV pouvait combler. C’était plus profond. Plus intime.
Je sentais la solitude. Pas celle des soirées seules, mais celle qui s’insinue dans chaque recoin de ta vie. Celle qui te fait te demander si quelqu’un t’a vraiment vue, un jour. Pas pour ce que tu fais, mais pour ce que tu es.
J’ai attrapé mon téléphone. Mes doigts tremblaient légèrement. Ce simple objet me paraissait chargé d’un poids que je ne savais pas nommer. J’ai hésité, longtemps, puis presque par instinct, j’ai téléchargé une application. Le nom qui s’est affiché m’a arraché un sourire ironique : “Connexions Instinctives”. Moi, instinctive ? J’avais passé tellement de temps à tout rationaliser que l’idée même d’un instinct me semblait étrangère.
J’ai créé un profil, vite fait, sans trop y réfléchir. Juste un pseudonyme. Rien de personnel, rien qui pourrait dévoiler trop de moi. À peine avais-je validé que les notifications ont commencé à pleuvoir. Une avalanche.
Mon cœur s’est emballé. Pas d’excitation, pas encore. Plutôt un mélange étrange de stress et de panique. Ces messages me donnaient l’impression d’être observée, scrutée. Et pourtant, mon profil ne disait rien. Ce vide me protégeait autant qu’il m’effrayait.
J’ai failli tout fermer. Trop, trop vite. Mais un message a attiré mon attention. Jacques. Une écriture simple, posée. Pas de phrases génériques. Il semblait curieux. Sincère. Mais pourquoi ? Mon profil était vide.
Mes doigts ont commencé à taper presque malgré moi. Chaque mot était un pas de plus dans un territoire inconnu. Mon cœur battait si fort que je pouvais l’entendre. Une partie de moi se rebellait. Et si je trahissais quelque chose ? Une ombre s’est imposée dans mon esprit : cette relation que j’avais quittée, mais qui ne m’avait pas encore quittée, elle.
Pourtant, j’ai continué. Pas par courage. Pas par conviction. Mais par une envie plus forte que mes peurs. Une envie de m’appartenir à nouveau.