Un bazar si intime
Narrateur :
Julia est assise à la table du salon, cette table qui porte tant d’histoires et de fonctions. Salle à manger le matin, bureau le jour, surface de pliage le soir. Un meuble unique dans une pièce exiguë mais baignant dans une chaleur douce. L’ordinateur repose devant elle, son écran éclairant les petites miettes de biscuit laissées là par habitude. Le pot de biscuits est ouvert, dévoilant ces marguerites croustillantes à cœur de chocolat salé-sucré.
Elle attrape son cappuccino posé dans son mug japonais, un bel objet au design épuré, d’une élégance discrète. Un plaisir simple, un symbole de ce qu’elle s’offre pour adoucir ses journées. Autour d’elle, un désordre qui révèle les instants passés : la télécommande, un élastique à cheveux, une carte de crédit, une cuillère laissée après un dessert mangé sans réelle faim. Et là, juste à côté de son porte-carte, trône une petite chose mauve.
Son vibro, discrètement présent, comme un objet parmi d’autres. Il n’a rien de sulfureux dans cet univers feutré, juste une présence étonnamment normale. Comme si, au milieu des miettes et des petits riens, il était un témoin silencieux de sa soirée. Une soirée qu’elle a traversée seule, entourée de sa routine et de ses pensées lourdes.
Son téléphone est éteint depuis hier soir. Une déconnexion volontaire, un besoin de silence. Julia respire lentement. Ses doigts effleurent le clavier, l’hésitation suspendue au-dessus des touches. Devant elle, le CV attend, vide ou presque, prêt à être mis à jour, symbole d’une reconquête à peine entamée.
Elle est là, dans le calme forcé d’une solitude choisie mais parfois lourde. L’odeur du café s’élève légèrement, comme une caresse réconfortante. Pourtant, le nœud au creux de son estomac reste présent. L’ombre du poste qu’elle a quitté plane encore, à travers des souvenirs de paroles blessantes et de regards condescendants.
Mais Julia n’est pas du genre à s’abandonner. La résilience est inscrite en elle, gravée par des années d’adaptation et de survie douce-amère. Alors, dans ce moment suspendu entre un passé lourd et un avenir incertain, elle prend une inspiration profonde.
Son regard se durcit légèrement, un frisson de détermination remonte le long de sa colonne vertébrale. Les miettes seront balayées, le pot refermé, le mug lavé. La table deviendra encore une fois ce qu’elle doit être : un tremplin. Julia écrit. Pas seulement un CV, mais le début d’une nouvelle histoire, la sienne.
Julia :
Je suis assise à la table du salon. Ma fameuse table multifonction. À la fois salle à manger, bureau, table à plier le linge. Cette table qui porte tout : mes repas en solo, en famille, mes projets inachevés, mes petits moments volés et torrides. Elle est là, immobile et solide, alors que moi… je vacille encore.
Il y a des miettes de biscuits partout. Mes marguerites préférées, celles au cœur en chocolat. Ce mélange parfait entre le sucré et le salé qui me donne l’impression, l’espace d’une bouchée, que je maîtrise encore quelque chose dans ma vie. La boîte est à moitié vide. Ce n’est pas une surprise. Je mange trop quand je pense trop.
Mon regard balaye la table. La carte de crédit abandonnée, comme un rappel discret que le mois prochain, il faudra jongler avec les chiffres. La cuillère, la télécommande, un élastique à cheveux usé qui a fait son temps… et ce petit objet mauve, posé là. Presque innocent.
Mon vibro.
Il détonne autant qu’il s’efface. Hier soir, je l’ai utilisé sans réfléchir, comme on ouvre un livre déjà lu pour en retrouver une page rassurante. Pas parce que je me sentais bien, mais justement parce que je me sentais vide. Ce matin, je n’ai même pas pensé à le ranger. Il est resté là, comme un témoin silencieux de ma solitude.
Est-ce que c’est “normal” ? Qui décide ce qui l’est ou ne l’est pas ? Je me juge parfois si durement. Trop durement.
Je baisse les yeux vers mon écran. Mon CV. Ou ce qui est censé l’être. Quelques lignes jetées en vrac, le curseur clignote comme pour me dire : “Alors, qu’est-ce que tu attends ?” Bonne question. Qu’est-ce que j’attends ?
Ma démission, c’était une question de survie. Il fallait que je parte avant que cet environnement ne m’achève. Ce genre de toxicité peut te détruire de l’intérieur, te réduire à une version fantôme de toi-même. Je l’ai senti venir. La fatigue permanente, la boule au ventre dès le réveil, les heures d’insomnie. Je refusais de devenir cette femme éteinte que je ne reconnaîtrais plus.
Alors, j’ai sauté.
Et aujourd’hui, me voilà ici, avec tout ce bazar sur la table. Ce n’est pas parfait. Moi non plus. Mais je suis là. Résiliente. Prête à me remettre en mouvement.
Je prends une gorgée de mon cappuccino. Le goût est doux, réconfortant, comme une promesse.
Mes doigts se posent sur le clavier. La première phrase s’affiche, tremblante mais présente. Une nouvelle histoire commence. Cette fois, elle sera écrite pour moi.